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Chroniques
récital Elīna Garanča
Budapesti Filharmóniai Társaság Zenekara, Karel Mark Chichon
Cette première des quelques soirées que nous passerons au Printemps de Budapest invite à entendre l’excellent Budapesti Filharmóniai Társaság Zenekara (Orchestre Philharmonique de Budapest), placé sous la direction de Karel Mark Chichon, qui accompagnera le mezzo-soprano Elīna Garanča (à la ville, Madame Chichon). L’Ouverture de Rouslan et Lioudmila de Glinka définit d’emblée ce moment comme contrasté : incisive, tonique, presque italienne même, l’interprétation est rondement menée tout en profitant avec gourmandise du chant et des timbres. La couleur inimitable des cordes hongroises est à l’œuvre, y compris dans la vélocité de ces cinq minutes en tourbillon. Une indicible suavité habille le thème principal, avantageusement opposée à la carrure héroïque des grands tutti. Le chef gibraltarien enlève le final comme d’une plume joueuse.
À l’enthousiasme provoqué par cette vive exécution se mêle la joie de retrouver le MUPA (qui fête dix ans d’existence) et son acoustique si précieuse. Le mélomane perçoit ici bien des agréments que perdent de nombreuses salles. Une quarantaine d’années après l’ouvrage de Glinka, Saint-Pétersbourg découvrait le sixième opéra de Tchaïkovski, La Pucelle d'Orléans [à propos de cette rareté de 1881, lire notre critique du DVD]. Un unisson de cordes graves, parfait comme c’est trop rarement le cas, introduit le récitatif de Jeanne. Immédiatement, l’autorité vocale s’impose, dramatique. Простите вы, l’air lui-même, s’élève bientôt sur une ligne favorablement menée, dans la caresse du timbre qui le porte comme un fleuve. Quelle plénitude ! Sans relâcher jamais, Elīna Garanča maintient une tension généreuse, pour ainsi dire, où les points culminants gagnent un naturel étonnant.
Après le cor solo, c’est au violon de briller : le programme convoque Massenet et sa Méditation de Thaïs comme virage entre Russie et France. Sur le discret tapis de cordes, la harpe est particulièrement prégnante quand l’instrument soliste se révèle tendre à souhait : l’équilibre est idéal, à la juste limite d’un glamour toujours sainement sugar free. Restons dans la mouvance orientaliste de l’opéra français, avec Samson et Dalila de Saint-Saëns, créé chez nous – Rouen d’abord, Paris sept mois plus tard – quatre ans à peine avant Thaïs (1894), alors que le public allemand le découvrait dès 1877 grâce à Liszt – cheville omniprésente de l’époque comme du Printemps de Budapest, ainsi que le souligne son directeur, Csaba Káel [lire notre dossier du mois]. Si la Jeanne de Tchaïkovski peut être attribuée à un soprano dramatique comme à un mezzo, le rôle de Dalila est nettement conçu pour un mezzo : Mon cœur s’ouvre à ta voix trouve en Elīna Garanča une séductrice irrésistible. Aux « réponds… » d’ici tomber comme un impérieux impératif, suivi du calme « je t’aime », souverain. À la moelleuse couleur vocale répond l’extrême sensualité de l’orchestre, à l’œuvre dans les savoureux mystères de la Bacchanale de l’Acte III. Outre les épices de l’écriture et les charmes de la mélodie élégiaque, saluons la précision de la nuance des notes répétées des trompettes. Aucun pupitre n’est en reste, parmi les musiciens du Budapesti Filharmóniai Társaság Zenekara, comme en témoigne la grande fantasia conclusive. À sa manière, Gounod ne nous fait pas quitter le péplum oriental. De La reine de Saba (1862) nous entendons Plus grand, dans son obscurité, air de Balkis (Acte III), dont la cavatine ferme la première partie du concert.
Après l’entracte souffle le vent du sud : Karel Mark Chichon nous emmène en Espagne. À la corrida de faire incursion dans ce programme ! D’España Cañí au Gato montés en passant par Gerona, Pascual Marquina Narro, Santiago Lope et Manuel Penella font retentir les forces vives de la formation hongroise, à travers ces pasodobles qui mettent en vedette les cuivres. Et c’est devant les arènes qu’est poignardée la belle gitane : un medley de l’opéra de Bizet complète le menu. Après la première version de L’amour est enfant de Bohème, où apparait Elīna Garanča en robe de passion, rouge et près du corps, effaçant le souvenir des voiles vieux-Parme de la première partie, nous entendons l’Ouverture de Carmen, le thème tragique de la scène finale puis la fameuse Habanera, dans une nuance infiniment travaillée. Des remparts de Séville à une mort flamenca, le couple enchante l’oreille. Trois bis remercient l’accueil chaleureux du public : Al pensar en el dueño de mis amores, romance extraite d’une zarzuela de Ruperto Chapí ; Granada, l’opulente et célèbre chanson d’Agustín Lara (1932), enfin O mio babbino caro de Puccini (Gianni Schicchi).
BB